Saint-Eustache "village martyr de la 2ème guerre mondiale"
“On vous a pris la vie, nous vous devons la mémoire”
“Non à l’oubli, non à la haine”
En 1942, la Haute-Savoie, située alors en zone libre, après avoir connu l’occupation de l’armée italienne, est envahie par les troupes allemandes. L’occupation se durcit en même temps que la résistance et les maquis s’organisent avec l’arrivée de nombreux réfractaires qui veulent échapper au STO (Service du Travail Obligatoire). Le maquis a besoin d’armes et de munitions.
C’est ainsi que le 22 décembre 1943, un transfert d’armes est organisé devant la maison du minotier Jean Armataffet, au hameau de Lavray, à Saint-Eustache. L’équipe qui doit les récupérer est en retard, et le minotier invite les maquisards à déjeuner. Mais arrivent un militaire allemand et un civil, qui vérifient les identités. Un échange de coups de feu, les deux hommes sont tués, puis leur chauffeur qui attendait plus loin. Tandis qu’au moulin, on essaie d’effacer les traces, le camion transportant les armes et la Citroën et ses occupants quittent Saint-Eustache. L’idée est de précipiter la voiture dans le lac. Mais près d’une scierie vers le hameau de Monnetier à Saint-Jorioz, un obstacle provoque la panique et la voiture est lancée en contrebas de la route.
La gendarmerie, prévenue par la mairie de Saint-Jorioz, vers 17h, mène l’enquête, la préfecture et la kommandantur sont prévenues.
Dans les deux communes, on craint les représailles. L’enquête a déterminé que le crime a eu lieu à Saint-Eustache, et dans cette commune, le minotier, ses employés, se confient au curé Savigny, qui leur conseille de faire une déposition à la justice. Armataffet est longuement interrogé. La fête de Noël se passe à peu près bien pour les enfants, malgré la peur des adultes du village de St-Eustache, qui font aussi appel au curé. Celui-ci tentera le jour-même avec le cardinal Gerlier d’obtenir un rendez-vous le lendemain avec les autorités d’occupation. Mais la démarche échoue, et du côté des occupants, il n’est pas question de laisser les meurtres, cet acte “terroriste”, impunis.
Ce vendredi 31 décembre 1943, à Saint-Eustache, c’est l’hiver, il fait froid, la neige reste sur les champs, la bise souffle. Malgré l’inquiétude, il faut vaquer aux tâches quotidiennes. C’est tôt et la traite est prête à être portée à la fruitière, au hameau du Cruet.
Dans le silence, les troupes allemandes encerclent le village. Vers 6h30, elles entrent dans les fermes, évacuent les occupants, fouillent, pillent, et interpellent les chefs de familles pour les rassembler à la mairie, devant le lavoir municipal. A la fruitière du Cruet, ils arrêtent les porteurs de lait, le pillage se poursuit dans les différents hameaux, même dans l’école. Une trentaine d’hommes sont faits prisonniers, sous la menace des armes, près du lavoir, dans le froid…
28 hommes seront incarcérés à l’école Saint-François d’Annecy, transformée en prison allemande, où ils seront interrogés… 4 parmi eux seront relâchés le soir même... les autres seront dirigés en train sur Compiègne, où mourront 2 d’entre eux… les survivants seront embarqués le 20 janvier pour l’Allemagne, à Buchenwald d’abord, puis dispersés à Mauthausen, Flossenbürg, Johangeorgestadt, Dora, Gardelegen…
Au village, plongées dans l’l’attente inquiète, sans informations, les mamans n’ont d’autre alternative que de prendre le relais à la tête des exploitations familiales, les enfants apportent leur contribution. Famille, parenté, voisins vont prêter main-forte…
Sur les 21 déportés de Saint-Eustache, seulement 4 reviendront des camps…
La tragédie laisse 9 veuves, 33 orphelins… marqués à jamais par la violence aveugle, l’injustice qui ont pris leur mari, leur père…
En 1947, est inauguré, devant l’église, un monument à la mémoire des 17 morts en déportation.
En 1993, est inaugurée la stèle du mémorial de la Croix Blanche.
Depuis 2017, la commune adhère au réseau international des Maires pour la paix, dont l’objectif est notamment de “cultiver une culture de paix dans les villes et villages.”
Depuis 1947 (inauguration du monument aux morts en déportation), chaque 31 décembre est célébrée une messe à la mémoire des disparus, et pour la paix, à laquelle s’associent les représentants des communes environnantes, les représentants de l’état, des anciens combattants et d’autres villages qui ont subi la même barbarie.
D’après le livre “La Tragédie de Saint-Eustache”
(Mairie de Saint-Eustache et l'Association des familles des déportés de Saint-Eustache, 2003.
En 2025, la classe citoyenneté défense du collège Jean-Monnet, qui couvre le même territoire que la paroisse, réalise un podcast sur la tragédie.